Du 20 Aout au 29 Aout 1945, Guiry, sous occupation Allemande depuis plusieurs années, va être libérée par les Alliés. Un habitant retrace jour par jour les événements, en voici le récit original :

20 AOUT

Voici une quinzaine de jours que les troupes américaines ont passé la Seine à Rosny et les mouvements de l’armée allemande s’accentuent sur la route départementale qui traverse Guiry. II s’agit d’éléments hétéroclites si l’on en juge par les uniformes des soldats.

Le mois d’août, c’est aussi pour nous 1’époque de la moisson et il n’est pas toujours prudent d’aller travailler en plaine. Au-dessus de nos têtes il y a de temps à autre des combats d’avions de chasse et le bruit caractéristique des douilles de mitrailleuse retombant au sol n’est guère encourageant. Déjà trois ouvriers de la ferme ne veulent plus aller travailler, les autres et les femmes (plus courageuses) continuent avec mon père et moi-même à ramasser la récolte durant deux jours encore. On entend le roulement continue du canon du côté de Mantes. 

Mais ce matin du 20 août a été un peu mouvementé à la ferme. Nous le désignerons sous le titre suivant « Le petit déjeuner du Colonel ».

En voici le récit:

Vers Huit heures du matin, une voiture décapotable de l’armée allemande, comme celles que l’on voit dans tous les films de la dernière guerre, entre dans la cour de la ferme. II en descend un officier supérieur en gabardine et son ordonnance.

II entre dans la maison, accroche sa gabardine au porte-manteau et s’adresse à mon père dans un français assez correct mais impératif

 – « Je viens pour déjeuner ici dans votre bureau »

(On a compris plus tard que c’était là pour surveiller par la fenêtre ce qui pouvait se passer).

– « Vous déménagez tout de suite les meubles (!)

– Et vous mettez une table pour moi manger.

– Madame doit me préparer tout de suite deux œufs cuits, des confitures et le café.

– Mon chauffeur va manger à la cuisine ».

– Schnell !

Bien obligés de s’exécuter. Mon père et moi enlevons le bureau, les classeurs et un canapé sans précipitation. L’officier (un Colonel me dit mon père) parait nerveux.

 Ma plus jeune sœur se sauve dans sa chambre.

 Le petit déjeuner pris rapidement, le Colonel repart précipitamment (On entend la canonnade au loin) et oublie sa gabardine au vestiaire.

 L’a-t-il fait volontairement ou non ?

Curieux, je fouille les poches de ladite gabardine et y découvre un révolver. Mon père me dit de laisser tout ça en place; comme il avait raison car quelques minutes plus tard, l’officier revient pour reprendre son manteau… Ouf!

Ce soir-là, comme tous les soirs depuis quelques jours, car voilà déjà quinze jours que l’on se bat sur la Seine, les renforts de l’armée allemande se dirigent vers le front. D’après leurs uniformes ce sont des unités hétéroclites de tous âges, les uns à pied, les autres dans des charriots attelés de chevaux. Je les regarde par une lucarne de la grange. On est loin de l’armée insolente et conquérante de mai 1940!

Tous ces pauvres types paraissent fatigués, harassés… Apparemment peu d’armes, pas de canons…

Voyant que ces bougres de soldats ne semblaient pas belliqueux, je m’enhardie à les voir passer à la porte de la ferme. Le convoi s’arrête et un soldat m’interroge, faisant un signe de la main « Nacht Artiesse ? » (Il voulait dire Arthies).

Je lui répondis affirmativement.